About me

Aziz Benja est un artiste plasticien et professeur d’arts plastiques à Tétouan. Il a été formé à l’Institut National des Beaux-Arts de Tétouan (INBA) de 1995 à 1999, pendant une période de transition pédagogique et artistique entre l’enseignement académique et l’art contemporain, ce qui a marqué sa vision et sa pratique de l’art.

A sa sortie de l’INBA, et après quelques installations, il se focalise davantage sur la peinture et ses différents genres. A la manière des impressionnistes, il peint plusieurs paysages mais en utilisant parfois une palette étrangement violacée les rendant tels des négatifs photographiques ou des sérigraphies pop-artistiques à la Andy Warhol. L’équilibre et les contrastes nocturnes entre couleurs chaudes et celles froides rendent celles-ci lumineuses telles qu’on les verrait pendant les nuits de pleine lune. Ils les rendent doucement lumineuses sans que l’auteur n’ait besoin de les éclairer par des feux d’artifice tels que ceux utilisés par Van Gogh dans ses Nuits étoilées. On dirait que là où il passe, là où il s’arrête, le soleil lui sourit. Il exagère parfois la luminosité du ciel en arrière-plan jusqu’à le rendre complètement jaune créant ainsi un contraste extraordinaire avec le reste du paysage où nature et culture cohabitent à merveille dans une harmonie exceptionnelle.

Malgré les nombreux motifs floraux et architecturaux excellemment représentés par cet artiste dans ses paysages ruraux, urbains et ses marines, il s’intéresse, en 2003, de plus en plus aux natures mortes ainsi qu’aux détails infimes des plantes, des pierres, des cours d’eau, des objets et même du corps humain pour faire ses preuves en peinture, car il a été formé dans une tradition académique rigoureuse qui pousse le jeune artiste à rivaliser avec les grands maîtres de la peinture et non avec les piteux peintres du dimanche.

En 2008, il réalise une courte série de (fragments de) portraits surprenants, quasi monochromes, dont les plus célèbres sont celui de feu l’artiste Mohamed Chabaa (diptyque acquis récemment par le ministère de la Culture) et celui d’un vieux juif (acquis par le Musée Mohammed VI d’Art Moderne et Contemporain de Rabat) – portant le fameux tarbouche marocain – dont on ne voit que les yeux, les sourcils et le front.

Ces fragments de portraits constituent le début d’une série prometteuse de peintures conceptuelles que Aziz Benja a provisoirement délaissée car c’est un artiste nomade qui trouve aussi son plaisir dans le déplacement pictural entre les genres et les thèmes. Lorsqu’on le connaît de près, on comprend mieux son nomadisme. Vu le travail de son père puis sa formation artistique nécessitant le déplacement d’une ville / région à l’autre, on ne pourrait l’attacher à une ville particulière. Ce natif d’Arfoud a vécu sans beaucoup d’amertume les déménagements de sa famille à Meknès, Tounfit, Bhalil, Salé, Casablanca et Boufekrane ; puis les siens à Fès, Tétouan, Martil, Tanger, Imouzzar Marmoucha et Bab Berred avant de s’installer définitivement à Tétouan. Il a appris à vivre nomade dans son pays, à s’adapter avec les changements géographiques et climatiques, les mentalités et les accents de ses concitoyens. D’ailleurs, même aux Beaux-Arts de Tétouan, il a été inconsciemment influencé par l’artiste allemand polymorphe Gerhard Richter.

Après 2011, c’est sa passion pour les paysages qui le pousse toutefois à interrompre sa série de portraits et de fragments. Il jette son dévolu sur le jardin Majorelle à Marrakech car il y trouve sa muse. Il le peint admirablement, de tous les angles, avec dextérité et subtilité. Il ne rate pratiquement rien de la richesse florale et aquatique de cet espace merveilleux. Si Claude Monet a peint à l’infini son jardin de Giverny et ses Nymphéas alors qu’il était fatigué et malvoyant, A. Benja, dans la force de l’âge et la maturité de son art, ne cesse de sublimer dans ses toiles le fameux jardin Majorelle jusqu’à en faire son/le jardin d’Eden. Il y aurait trouvé un certain exotisme qui, selon Victor Segalen, permettrait « d’accéder à l’autre » et de « percevoir le divers » (Essai sur l’exotisme. Une esthétique du divers, 1978).

Au-delà de la belle histoire de ce jardin envoûtant et de ses caractéristiques formelles, c’est sa valeur symbolique qui a accroché davantage notre artiste. On y trouve côte à côte un palmier, un aloe vera, de l’eau et des roses ; c’est-à-dire un nouvel écosystème fascinant conçu, réalisé et légué par de grands artistes, à savoir Jacques Majorelle et Yves Saint Laurent. Si Benja le représente indéfiniment, c’est parce qu’il lui ressemble et lui rappelle le parcours de sa vie avec ses acquis et ses difficultés. Il ne se lasse point de le célébrer car cette œuvre d’art et de la nature constitue, pour les esprits éclairés, un hymne à la tolérance et à la cohabitation malgré les différences de tailles, de couleurs et d’origines.

Récemment, cet « exote » insaisissable s’est lancé derechef dans une série de fragments de paysages où ceux-ci s’estompent derrière des touches de peinture en relief créant des mondes fabuleux tels ceux d’Avatar ou d’Aquaman. Ces peintures, représentées souvent sur des formats carrés ou des tondi – dans une quête de perfection – avec une approche de plus en plus matiériste où se confondent curieusement figuration et abstraction, prouvent une fois encore le doigté, la sensibilité et le raffinement de ce prestidigitateur de la peinture.

Fouad EL BAHLAOUI
Professeur chercheur à l’Institut
National des Beaux-Arts de Tétouan
Septembre 2024